Parmi les familles botaniques indigènes, ce sont surtout nos plantes aquatiques auxquelles on a voué jusqu’ici le moins d’attention ; bien que les érudits de notre pays soient pour ainsi dire désignés à l’étude de ces végétaux. Après que notre honoré président eut entrepris, l’année passée, la révision du genre Batrachium, j’ai voulu entreprendre la tâche de soumettre les espèces indigènes de Potamogeton à un examen sérieux. Comme premier fruit de ces recherches j’ai le plaisir de vous soumettre les résultats acquis par l’étude du matériel conservé dans les herbiers, en exprimant toutefois l’opinion que la connaissance intime de ce genre botanique ne saurait se faire qu’en étudiant la plante vivante. Mais le désordre régnant dans l’herbier de la Société et les diagnostics souvent obscurs et insuffisants qu’on trouve dans divers ouvrages descriptifs, me firent prendre la résolution d’aborder ce travail. Bien que van den Bosch se soit déjà occupé de l’étude des Potamogeton, ce genre n’a plus été l’objet de recherches ultérieures après la publication du Prodromus Plorae Batavae. Les exemplaires de ce genre, acquis pour l’herbier de la Société, ne suffisent pas même à donner une idée exacte de la distribution géographique de ces plantes dans notre pays. Il en est ainsi plus particulièrement pour nos provinces septentrionales ; cette partie de notre pays étant mal représentée dans l’herbier, en dépit des renseignements fournis par Meese, B r u i n s ma, van Hall et autres. La façon dont j’ai arrangé le matériel contenu dans l’herbier correspond à celle du genre Batrachium, dont je puis supposer connus les avantages. En ce qui concerne la description des espèces j’ai reconnu que dans plusieurs des Flores consultées les diagnostics étaient insuffisants, ou bien qu’ils donnaient un aperçu incorrect de l’espèce. Il est vrai qu’il existe des espèces de Potamogeton nettement définies, de sorte que personne ne saurait se tromper dans leur détermination exacte ; mais on en trouve d’autres aussi dont le caractère est si variable, qu’elles peuvent mener à toutes sortes de méprises, si bien qu’on en a formé des espèces qui ne doivent pas être considérées comme telles. Ces espèces , critiques’ — ainsi qu’on les appelle — -ont précisément donné lieu à des confusions sans fin, aussi me serait-il une grande satisfaction si cette révision pouvait fixer de nouveau l’attention sur ce genre et qu’on se formât une idée plus exacte de la valeur des divers caractères qu’on trouve décrits. Pour la délimitation des espèces de ce genre on a, je crois, suivi des méthodes peu scientifiques ; en faisant usage de déterminatifs trop peu importants pour qu’on eût pu songer même à y attacher quelque valeur pour la détermination d’une espèce différente. Sans considérer plus amplement les divisions qu’on a déjà proposées, il me paraît que le caractère du plissement des feuilles est le seul d’après lequel on puisse diviser les Potamogeton dans les trois groupes suivants: 1. Les iiatautes, auquel groupe appartiennent P. nat an s, polygonifolius, plantagineus, heterophyllus, lucens, rufescens, où les feuilles se replient des deux côtés vers le milieu. 2. Les submers i. Dont: P. praelongus, perfoliatus et densus, où les feuilles se replient d’un côté. 3. Les coinpressi, plantes qui ont pour la plupart des tiges comprimées, aux feuilles planes dans le bourgeon. A cette division appartiennent P. crispus, zosteraefolins, obtusifolius, acutifolius, mucronatus, pusillus, trichoïdes, aussi que P. pectinatus, qui seul représente chez nous la subdivision des ,marini’. Il me semble impossible de dourfer ici un résumé relatif à toutes les espèces, mais voici des remarques générales et des détails sur quelques espèces. En général la forme de l’espèce dépend surtout des circonstances dans lesquelles la plante a poussé, et pour une grande partie des conditions de l’eau où elle a vécu. Ces variations sont même si fortes qu’on a décrit comme des espèces diiférentes des plantes qui ne sont autre que des variations de forme, dues à des conditions vitales diiférentes. En outre, il n’est nullement indifférent dans quel degré de son développement une plante a été recueillie; parce que souvent le dessèchement — surtout lorsque les fruits ne sont pas parfaitement mûrs — produit des changements de forme qui, vu l’exiguïté des différences entre certaines espèces, ont conduit à la formation d’espèces nouvelles, particulièrement à une époque où les botanistes trouvaient leurs plus grandes délices dans la description d’une nouvelle espèce. Aussi doit-on conseiller à ceux qui s’occupent de l’étude de cette famille, de faire ses recherches sur les plantes vivantes ou, si cela est impossible, d’utiliser pour la description des exemplaires complètement développées et dont les fruits sont tout-à-fait mûrs. C’est avant tout l’espèce décrite sous le nom de finit an s qui a donné lieu à de nombreuses méprises, ce qui doit être attribué particulièrement à ce que P. f luit an s n’est pas une espèce bien définie, de sorte qu’on a cru trouver parmi toutes les autres espèces des représentants de celle-là ; on trouve aussi quelquefois d’antres espèces de Pot amogeton décrites sous le nom de P. finit ans, ce qui a rendu la confusion inextricable. D’une comparaison de nos exemplaires indigènes avec les plantes conservées sous le nom de P. f 1 ui t ans dans l’herbier de l’Etat, je crois pouvoir tirer la conclusion que P. fluitans n’existe pas comme espèce, mais que la plupart des plantes décrites sous ce nom sont des formes plus ou moins flottantes d’autres espèces, ordinairement de P. p o 1 ygonifolius. Cette opinion a trouvé un nouvel et précieux appui dans l’étude des exemplaires que M. Kok Ankersmit a recueillis près d’Apeldoorn, à des époques et en des circonstances différentes. Mais comme personne ne savait très bien quelle plante devait être indiquée par P. finit an s Both cette plante a été pendant longtemps considérée comme une espèce distincte et on en trouve le diagnostic dans la plupart des Flores. P. plan ta gin eu s est une espèce rare dans notre pays, elle n’y est bien représentée que par les exemplaires recueillies dans „Persyns Pan” entre Katwijk et Wassenaar, où elle fut trouvée en 1833 par M. Wttew a a 1, c’est la forme décrite par Keichenbach sous le nom de subspathaceus. La présence d’une petite bractée à la partie inférieure de l’épi prouve la parenté de cette famille avec les Aroïdées. Quant à P. lanceolatus de M. Smith, dans TEnglish Botany, je crois que Smith a eu primitivement en vue P. heterophyllus, mais que plus tard il a identifié avec cette espèce P. rufescens, de sorte que les descriptions ultérieures de P. lanceolatus se rapportent pour la plus grande partie à l’espèce citée en dernier lieu. La plante typique P. decipiens Xolte n’a pas été recueillie dans notre pays ; il me parait cependant probable, eu égard à quelques variations de P. rufescens, que la première espèce n’est qu’une variété de P. rufescens, peut-être une hybride de celle-ci et de P. praelongus. De même j’ai tâché d’apporter ■ un peu de lumière dans les descriptions de Linné de P. densus, setaceus et serratus. En me fondant sur d’anciennes descriptions floristiques et sur l’examen d’exemplaires authentiques du temps de Linné, je crois avoir le droit de supposer que les deux espèces précédemment nommées correspondent en effet à notre P. densus; que la dernière, cependant, est selon toute probabilité la variété serrulatusde P. c r i s p u s, bien que la possibilité ne soit pas exclue qu’elle ait été une forme particulière de P. 1 u c e n s. Dans la groupe des compressi j’ai conservé, en utilisant les caractéristiques fournies par la nervature et la forme des fruits, les espèces décrites déjà dans notre Flore, tout en tâchant de les déterminer plus nettement ; tandis que j’ai pris la liberté de m’écarter de la nomenclature suivie dans le Prodromus; en partie pour mettre cette révision en accord avec d’autres ouvrages floristiques, en partie aussi pour mettre fin à la confusion causée par l’usage de noms qui s’adaptaient à des espèces différentes. En examinant le matériel conservé dans l’herbier de notre Société, j’ai vu que P. triehoïdes se trouve aussi dans notre pays; en tout cas j’y trouvai des exemplaires recueillis par M. A b e 1 e v e n, concordant parfaitement avec la description de cette espèce par C h a m i s s o. Je découvris aussi la variété monogyna parmi les plantes déterminées comme P. pusillus. Je fais remarquer ici que la présence d’un des 4 pistils n’est pas une particularité propre à P. triehoïdes; les botanistes français ont fait valoir cette particularité comme déterminatif de l’espèce P. t r ic h o ï d e s, quoique cette propriété ne doit être considérée que comme une variation de la forme principale. J’ai repris comme espèce distincte, P. mucronatus, considéré dans le Prodromus comme une variété, le P. pusillus ce maior, suivant en cela M. Oudemans dans sa Flore des P a y s-B as. P. m a r i n u s, une plante vivant dans l’eau douce, qui ne se rencontre à la côte qu’en Suède et dans le reste de l’Europe dans les lacs à l’intérieur du pays, ne se trouve pas chez nous ; ce qu’on a considéré comme tel étaient des formes plus ou moins divergentes de P. pectinatus. De cette espèce j’ai distingué à côté de la forme principale les variantes : „s c o p a r i u s” et „f 1 a b e 1- latus.” Ce dernier nom, emprunté à P. flabellatus de Babington me parait plus exact que ,dichotom u s”, avec laquelle plante notre variété s’accorde. Suivant mes recherches faites sur le matériel desséché il se trouve donc les espèces suivantes: 1. P. natans, 2. polygonifolius, 3. plant agineus, 4. heterophyllus, 5. lucens, 6. rufeseens, 7. densus, 8. perfoliatus, 9. praelongus, 10. crispus, 11. zosteraefolius, 12. acntifolius, 13. obtusifolius, 14. mucronatus, 15. pusillus 16. trichoïdes et 17. pectinatus, tandis que P. f 1 u itans est rayé comme telle de notre flore J’espère pouvoir contrôler mes observations, faites sur le matériel desséché, à la plante vivante et je compte examiner, en cultivant diverses espèces, en quoi chacune des espèces décrites peut véritablement prétendre à ce nom ; car il me semble que des changements dans les conditions vitales de la plante peuvent produire dans la plante des changements de forme qu’on a admis comme des caractéristiques de l’espèce.